Son assassinat et son rêve politique

Un extrait de l’article de 

 

 Vingt ans après son assassinat, on est tenté de dire que ce grand syndicaliste a laissé un désert derrière lui, difficile à combler.
Benhamouda était un visionnaire, un leader et un guerrier à la fois. Sur tous ces registres, il intervenait avec brio. Et beaucoup de convictions. Il avait l’Algérie au coeur.
Il était le syndicaliste venu pour tracer un profond sillon dans l’Histoire du mouvement ouvrier algérien et semer les graines d’une émancipation nouvelle pour les milliers de travailleurs algériens dont les têtes résonnaient encore des mots d’ordre de combat du temps de Aïssat Idir.
Rien que dans le Maghreb d’aujourd’hui, et à travers ses générations d’après-guerre, les élites associent volontiers son nom à celui qui créa l’Ugta, Aïssat Idir ou à Ferhat Hached, leader syndicaliste tunisien assassiné par la Main rouge à l’époque où Bourguiba guerroyait pour arracher l’indépendance à son pays. Benhamouda était de leur trempe.
Ils sont encore de ce monde, ces syndicalistes, ses compagnons de combat, qui se rappellent bien de ses positions avant-gardistes, de ses discours mobilisateurs marqués par sa voix de stentor, moteur de cette formidable symbiose entre l’orateur et son peuple.
Son assassinat ressemble étrangement à une exécution. Mais maintenant, vingt ans après la tragédie, il demeure toujours et encore dans les tablettes de l’Histoire de l’Algérie, comme un assassinat à l’encre noire. Vingt ans après, l’élite de ce pays a le droit et le devoir de s’employer à faire toute la lumière sur les vraies conditions de son assassinat à un moment où la République était alors sur le point d’être mise en terre par les mêmes fossoyeurs qui ont creusé la tombe de Abdelhak Benhamouda. 

Le Rassemblement National Démocratique

 

Lorsque « l’intendance » ne suit pas, les potentialités saines du pays recherchent le cadre le plus approprié pour la prise en charge de leurs préoccupations et la réalisation de leurs attentes, dixit A.Benhamouda sur l’éditorial de Révolution et Travail, hebdomadaire voix de l’UGTA, du 10 décembre 1996. (EditoRT101296).

 

Le libéralisme politique institué par la constitution de 1989 et son application ont montré toutes le dérives auxquelles ce libéralisme sauvage a mené le pays, l’instrumentalisation de la religion, du régionalisme à des fins politiques comme pratiqué par « ces associations à caractère politique fantoches » ont porté des coups mortels à la société et ont mené le pays au bord de l’explosion et de l’intervention étrangère.

Fin 1996, le monde du travail connait une dégradation de la situation jamais atteint auparavant, les attentes sociales des travailleurs et de la société sont exacerbées et grandissantes face à un gouvernement récalcitrant et fermé à toute concession ou amélioration des salaires.

Pour A.Benhamouda, dans toute société un pouvoir fort et omniprésent avec un contrepouvoir faible ou inexistant, c’est la porte ouverte à l’autoritarisme, l’injustice et la dictature.

Après plus de 6 ans à la tête de l’UGTA, 30 ans de combat syndical, les évènements tragiques que traversait le pays ayant contribué à faire murir sa réflexion, à le conforter dans ses convictions et à cristalliser ses désirs profonds d’une émancipation démocratique, intellectuelle, politique, économique et sociale pour l’Algérie autour d’un projet politique, A.Benhamouda décida de se jeter dans l’arène politique et de créer le parti qui sera le contrepouvoir puissant et actif.

Antérieurement à cette décision et dans un entretien accordé au Soir d’Algérie du 25 Septembre 1996 (lesoir250996), A.Benhamouda aborda l’idée de création d’un parti politique : « idée ancienne au sein de la base de l’UGTA, tout en confirmant que l’initiative était en phase de murissement et rien n’était encore tranché, parce que l’idée fait l’objet de débats au sein de l’organisation afin de clarifier les liens qui puissent exister entre l’organisation et l’éventuel parti à fonder »

Fidèle à son style, il continue de laisser planer le doute sur la création d’un parti politique mais confirme la volonté de l’UGTA d’avoir des sièges au sein de la prochaine assemblée et de ne plus faire de l’équilibrisme. Les colonnes du journal Liberté du 06 novembre 1996, confirment ses intentions de porter les revendications des travailleurs au sein de la future APN. (Liberté061196)

Les rumeurs vont bon train sur la création d’un nouveau mouvement politique avec à sa tête A.Benhamouda. Chacun va de sa propre analyse sur le contenu du projet politique, l’assise militante du parti, son positionnement vis-à-vis du pouvoir et autres calculs politiciens et supposés jeux de pouvoirs en omettant au passage (sciemment ou pas) le parcours de l’homme. Tout d’abord son parcours de militant qui a gravi un a un par la force du travail, de la conviction, du dialogue et de l’obstination tous les échelons du mouvement syndical. Sa légitimité auprès des algériens en général et des travailleurs en particulier qui a été bâtie grâce à son franc-parler, son honnêteté et sa droiture.  Son engagement à l’avant-garde du combat démocratique au moment où l’Algérie avait le plus besoin de ses valeureux enfants. Enfin, son histoire familiale qui l’a vu naitre et grandir au sein d’une famille révolutionnaire dans une maison qui a vu passer tant de combattants de la libération nationale. L`histoire d’un enfant ayant vu son père emprisonné et son frère rejoindre à 16 ans les maquis de l’ALN à l’adulte ayant vu ce même frère lâchement assassiné. L’histoire d’une vie faite de lutte contre l’injustice et l’inégalité à l’aube de sa carrière jusqu’au combat pour la liberté et la démocratie à son crépuscule. Tout cela aurait pu et aurait même dû orienter certains sur la forme et le contenu de ce projet politique…il n’en fut rien.

La situation de déstabilisation dont faisait objet l’UGTA est analysée dans un entretien de A.Benhamouda à l’hebdomadaire Révolution et Travail dans son numéro 140 du 07 janvier 1997, la veille du lancement du parti, et c’est dans cet entretien que A.Benhamouda dessine les contours, les axes directeurs et les grands objectifs qu’il s’apprêtait à mettre en œuvre pour l’année 1997.

La réponse au soubresaut médiatique et politique (autour du projet de création d’un mouvement politique) c’est Abdelhak Benhamouda qui va l’apporter. À travers sa participation à l’émission « signature » début Janvier 1997 mais aussi dans son dernier entretien avec la presse écrite (en l’occurrence le quotidien l’Authentique du 16 janvier 1997) (AUTHENTIQUE160197), il s’efforça d’apporter tous les éclairages nécessaires sur le contexte politique ayant conduit à l’idée de création d’un parti politique, la ligne politique de ce dernier, sa composante et ses objectifs. Tout en prenant le soin de lever toute équivoque sur l’éventualité de liens qui peuvent exister entre l’appareil de l’UGTA et l’action partisane et en éliminant la possibilité d’alliance avec d’autres partis politiques.

Le contexte dans lequel l`idée de la création d’un parti politique est connu de tous. Le pays se trouvait dans une situation tragique sur le plan sécuritaire, au bord de la faillite sur le plan économique et dans une vacuité inquiétante sur le plan politique. Voilà comment A.Benhamouda lui-même décrivait la situation du pays l’ayant poussé à créer ce parti « C`est l’évolution inquiétante des évènements dans tous les domaines qui a rendu incontournable l’idée de création de ce parti. C`est donc une réponse politique mûrement réfléchie à une situation devenue intenable de blocage, de paralysie, de gâchis énorme et de gaspillage incroyable de temps, d’énergie et de moyens dans des futilités alors que l`Algérie se débattait dans des problèmes et des crises qui ont tourné finalement au drame et à la tragédie ». Au-delà du contexte politique dans lequel se trouvait le pays (qui n’a été que le déclencheur d’un désir profond de grandeur pour l’Algérie), ce parti est surtout le fruit d’une vie de luttes, de sacrifices et d`engagement alliés à la maturation d’une longue réflexion et d’une expérience.

« L’initiative de A.Benhamouda est une possibilité de réveil politique et de rassemblement national et nationaliste pour une majorité d’Algériens ne se reconnaissant dans aucune formation politique, les partis n’arrivant pas à se régénérer, sclérosés dans un conservatisme qui a atteint ses limites. »

Tel que paru sur les colonnes du journal l’Authentique du 16 janvier 1997 A.Benhamouda voulait un parti idéologiquement patriotique et républicain, économiquement efficace, socialement équitable et profondément attaché aux valeurs spirituelles, à l’histoire, aux coutumes et traditions de la société Algérienne. Il voulait un mouvement populaire qui soit centriste et rassembleur très attaché aux valeurs de la démocratie, aux libertés individuelles et collectives, d’expression, d’opinion, d’association, de circulation, les libertés d’entreprendre, d’innover et de créer dans le cadre d’un état de droit au fonctionnement juste et transparent.

Le projet politique voulu par A.Benhamouda était construit autour du rassemblement des travailleurs, des syndicalistes, des paysans, des intellectuelles, des étudiants, des jeunes, des cadres honnêtes et compétents. En définitive de toutes les catégories de la société algérienne avec comme seul dénominateur commun leur patriotisme et leur probité.

Selon A.Benhamouda, « ce mouvement prendra en charge les besoins, les attentes et les exigences légitimes de l’écrasante majorité du peuple, par-delà les contradictions qui existent entre telle ou telle catégorie sociale…cette majorité aspire à la justice, au bien-être. Les gens veulent un logement, un emploi, des soins et l’éducation pour leurs enfants ».

« Le courage de sortir du conservatisme syndical pour tenter l’aventure » (CF Algérie Actualités) et la décision de lancer le Rassemblement National Démocratique ont couté la vie a A.Benhamouda.

La déclaration de création du Rassemblement National Démocratique rédigée par A.Benhamouda ainsi que les statuts du parti peuvent être consultés sur ce lien.

A.Benhamouda gênait :

Depuis son accession à la tête de l’UGTA, il n’a ménagé aucun gouvernement, aucun chef d’état. Tous passeront dans son collimateur.

A.Benhamouda dérangeait l’intégrisme sous toutes ses formes, sa création du CNSA ne lui sera jamais pardonné.

Sa démarche et son opposition à la plateforme de Saint Egidio lui valut d’être taxé d’éradicateur, il sera accusé de refuser le dialogue et de mettre le feu aux poudres.

« Son refus de participer à la démarche de la famille révolutionnaire n’a pas dû rendre fous de joie certains responsables de ladite famille ni certaines sphères encore plus favorables à une politique plus ouvertement pro islamiste » Quotidien le Matin du 29/01/1997.

Il a dû faire face à plusieurs velléités d’opposition à sa démarche, au sein même du syndicat.

« En affirmant sa volonté de créer un parti politique républicain démocratique et patriotique, Benhamouda a fait cristalliser la sourde opposition des clans réconciliateurs et souder leurs rangs. » Quotidien le Matin du 29/01/1997.

Conséquences, une levée de boucliers médiatique s’abattit sur son projet.

Les déclarations se suivaient jusqu’au Mardi 28 Janvier 1997, en ce dix-neuvième jour du mois sacré de Ramadhan, A.Benhamouda sortait du siège de l’UGTA pour se diriger au siège de la Présidence de la République. L’absence du chauffeur à cet instant donna l’opportunité aux assassins embusqués sur le parvis de la centrale syndicale de l’approcher et de vider les chargeurs de leurs armes sur le défunt. Atteint de plusieurs balles au bras droit, d’une balle de gros calibre au cou sur la carotide et achevé à bout portant par d’autres balles en plein cœur ; il s’affala sur son côté gauche inconscient sous l’œil de tous les syndicalistes présents et son chauffeur qui venait juste d’arriver.

Aucune sécurité du bâtiment et de l’esplanade n’était assurée. Il ne bénéficiait d’aucune protection rapprochée.

Ce jour-là A.Benhamouda ne reverra plus les siens. Le soir à la rupture du jeûne, il ne goutera plus à son dessert préféré ‘La Djawzia’ (Nougat aux noix) que son ami de toujours Messaoud Talhi lui avait ramené le matin même.

L’annonce de son assassinat se répandit comme une trainée de poudre et tétanisa l’opinion algérienne. Le sentiment de révolte qui animait les algériens lors des crimes terroristes fut vite remplacé par un état de choc et de consternation. La tristesse et le désarroi gagnaient les travailleurs et la majorité du peuple algérien désemparé et gagné par une profonde incompréhension.

La condamnation et l’indignation unanimes de ceux qui l’aimaient comme de ceux qui le craignaient prenaient forme dans les diverses réactions des syndicats nationaux, des personnalités de la société civile, des partis politiques, des simples citoyens et de tous les partenaires de l’UGTA : que ce soit à Paris, à Londres, à New York, au Moyen Orient ou en Afrique.

Tous rejetaient l’acte ignoble et demandaient que la lumière soit faite sur son assassinat dans tous leurs messages de soutien à la famille du défunt et du peuple algérien.

Plusieurs jours après l’assassinat de celui qui représentait l’ultime espoir pour des jours meilleurs, les algériens pleuraient le patriote, l’incontestable ZAIM de la classe ouvrière et du petit peuple. Ils pleuraient l’homme exceptionnel qui allait avec leur soutien.

Aucun organisme ni aucune formation ne s’est porté partie civile pour défendre la mémoire de celui qui donna sa vie pour que vive son peuple.

Assassins et commanditaires ont trouvé leur compte, l’Algérie a-t-elle trouvé le sien ?

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