A.Benhamouda a été aussi l’invité d’honneur du 45ème congrès de la CGT en Décembre 1995, où il prononça un discours historique, que nous nous devons de reprendre entièrement ici.
Communication de A. Benhamouda Secrétaire General de l’UGTA au 45eme Congres de la CGT du 3 au 8 Décembre 1995
(Montreuil, le 4 Décembre 1995)
Je ne peux pas intervenir à votre 45éme Congrès sans exprimer la totale solidarité de l’UGTA aux personnels et salariés de la France engagés dans un mouvement revendicatif d’une grande ampleur.
Je salue, en mon nom personnel et au nom de l’UGTA : les cheminots, les salariés de la RATP, des hôpitaux, des finances.
Je salue les gaziers et électriciens, les fonctionnaires qui expriment dans l’unité leur refus de voir leurs acquis et avenir remis en cause.
J’ai la conviction que ce mouvement social œuvre pour l’intérêt de l’ensemble des salariés, des retraités du peuple de France.
L’unité des travailleurs et de leurs syndicats démontre d’une manière éclatante que l’action syndicale est une force dont il faut que le patronat tienne compte.
Soyez certains chers amis et camarades que votre action est un encouragement également pour nous algériens, pour défendre les intérêts des travailleurs de notre pays.
J’ai la conviction que vous pouvez faire céder les pouvoirs publics et obtenir satisfaction à vos légitimes revendications.
Chers camarades, Mr le Secrétaire Général
Chers camarades congressistes
Honorables invités de la CGT
C’est avec une fierté particulière pour moi d’être aujourd’hui parmi vous. C’est un moment privilégié pour moi d’avoir à vous parler, chers camarades congressistes et invités de la CGT.
Les travailleurs et élus de l’UGTA sont particulièrement touchés par l’invitation que vous avez adressée à l’UGTA et ils tiennent à vous en remercier avec une grande fraternité.
Les travailleurs algériens et leurs élus syndicaux sont très touchés par la solidarité que la CGT et sa vaste base militante ont toujours manifestée et manifestent envers les travailleurs et le peuple algérien.
Aujourd’hui, devant vous, j’affirme que la solidarité de la CGT n’a jamais été défaillante et ce, depuis la guerre de libération nationale.
Dans les moments difficiles que notre pays a traversés et qu’il traverse, nous avons toujours pu compter sur votre appui, votre solidarité franche et fraternelle. Que la CGT et sa base militante soient remerciées.
A cette occasion, je suis fier de l’exprimer devant vous.
Les travailleurs de la CGT et de l’UGTA sont liés par leur histoire, par les échanges et la coopération dans différentes activités syndicales du passé et du présent ; comme ils sont liés par les défis et les problèmes partagés du développement économique et social à venir.
Chers camarades !
En Juin 1990, lors de son huitième congrès l’UGTA s’était définitivement libérée de la caporalisation du parti unique. Les 1500 délégués de ce 8ème congrès ont décidé de rebâtir leur organisation et de faire de l’UGTA une organisation syndicale revendicative, forte, représentative, démocratique et indépendante.
Depuis cette date, l’UGTA s’est attelée à combattre les inégalités, la marginalisation, l’incohérence des politiques économiques et sociales, à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs ; enfin à bâtir un syndicat pluraliste, démocratique, moderne et sans aucune tutelle.
Aujourd’hui, je peux affirmer devant vous que l’UGTA a redonné au syndicalisme algérien un nouveau souffle.
A titre d’exemple, je me permets de vous citer quelques conquêtes sociales arrachées depuis le 8ème congrès :
- Le niveau du SNMG a été multiplié par cinq.
- La négociation et la ratification de 1550 conventions collectives.
- Le niveau des allocations familiales a été multiplié par dix et leur paiement par le budget de l’état.
- La généralisation du financement des œuvres sociales à tous les secteurs d’activités.
- Le développement du mouvement mutualiste.
- La mise en place :
- D’un Conseil Economique et Social
- Des Conseils d’Administration de la Sécurité Sociale et des Retraites.
- La création d’une Caisse Nationale d’Assurance Chômage.
- L’octroi par l’état d’indemnités aux sans revenus.
Par cet investissement de l’UGTA dans la défense des intérêts moraux et matériels des travailleurs, l’adhésion des travailleurs est passée de 700 000 en juin 1990a 1 350 000 en Décembre 1994 (date du 9ème congrès).
C’est par cette action syndicale que l’UGTA a regagné la confiance des salariés et qu’elle est devenue une force incontournable.
Je ne vais pas vous dire que tout va bien dans le meilleur des mondes, ce ne serait pas sérieux. Ce que par contre je peux vous dire, c’est que l’UGTA est devenue un partenaire écouté et un élément important de l’espace civil, social, économique et politique.
Chers camarades, si un message devait vous être transmis ici, c’est celui de vous dire que l’Algérie est en train de connaitre des mutations profondes, les bouleversements que l’on observe actuellement résultent pour une bonne part de la transition entre le système du parti unique, longtemps en vigueur en Algérie et l’ère du pluralisme politique.
La faillite du système politique, économique et social, l’étouffement des libertés individuelles et collectives, les retombées de la crise économique mondiale entrainent le pays dans une situation alarmante l’obligeant à réserver 75% de ses ressources financières pour couvrir la dette extérieure.
A cela s’ajoute les effets négatifs des politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI et la Banque Mondiale.
A la faveur de cette situation et profitant du désarroi et de l’exaspération des citoyens, l’intégrisme a trouvé un terrain favorable à l’expansion de ses idées.
La jeunesse qui constitue 70% de la population a été une proie facile, vu son exclusion, l’absence de perspectives d’avenir, le désœuvrement et sa révolte contre un système corrompu ne lui laissant que peu d’espoir d’accéder à un avenir meilleur.
Cependant, les citoyens qui s’étaient laissés leurrer par les promesses trompeuses des intégristes n’ont pas tardé à déchanter lorsque ces dernières ont dévoilé à la face du monde leurs desseins qui n’étaient autres que la suppression des libertés démocratiques, l’instauration d’un nouveau régime totalitaire et répressif.
Il est des moments dans la vie des nations où les prises de position de chacun constituent un engagement d’une exceptionnelle importance et exigent un sens aigu de la responsabilité. Arrivée à certains tournants de l’histoire l’erreur n’est plus permise. C’est pour cela que l’UGTA a pris les siennes. L’Algérie n’a échappé que de justesse aux complots internes et externes visant à la livrer à l’obscurantisme totalitaire, porté par la mouvance intégriste.
Mais les ennemis de la démocratie ne désarment pas, et pour se hisser de force au pouvoir, ils n’hésitent pas à utiliser les moyens les plus abjects :
- Le terrorisme, les assassinats, les vols, les viols, le sabotage et la destruction du potentiel économique.
Chers camarades,
L’Algérie aujourd’hui pleure ses martyrs :
- Elle pleure ses intellectuels que l’on veut assassiner ou chasser de leur pays.
- Elle pleure ses journalistes, ses écrivains que l’on veut réduire au silence.
- Elle pleure ses poètes, ses chanteurs, ses artistes pour qu’ils n’apportent plus de rêves.
- Elle pleure ses enseignants, ses étudiants pour qu’ils ne répandent plus la lumière du savoir.
- Elle pleure ses femmes et ses filles qui n’acceptent pas l’asservissement.
- Elle pleure ses démocrates, ses syndicalistes qui font de la défense de la justice sociale et des valeurs républicaines leur raison de vivre.
- Elle pleure tous ses amis étrangers venus à son aide pour son édification et qui en guise de remerciement n’ont trouvé que la mort et le deuil.
Le combat qui se déroule dans notre pays n’est pas une lutte entre le pouvoir et la mouvance islamiste, comme « certains médias » tentent de le faire croire, mais c’est la lutte des forces vives, progressistes, contre l’obscurantisme et le fanatisme. Nous nous battons tous les jours pour préserver les acquis des travailleurs, défendre leurs outils de travail, empêcher la destruction des écoles et des universités principales cibles de l’intégrisme, qui est allé jusqu’à interdire aux écoliers, lycéens et étudiants la reprise des cours lors de la rentrée scolaire et universitaire.
Même les crèches et les hôpitaux ne sont pas épargnés.
Dans ce contexte, les déclarations, positions et actions depuis juin 1990 de l’UGTA s’inscrivent sans aucune équivoque dans une ligne patriotique de défense résolue de préservation de l’unité nationale, des valeurs républicaines, de l’idéal démocratique, des libertés individuelles et collectives, des libertés syndicales et du droit de chacun à la liberté d’opinion et d’expression.
De par ces prises de position, l’UGTA est devenue la cible privilégiée de l’intégrisme ; nombreux sont les syndicalistes victimes de ses attentats et qui ont payé de leur vie leur engagement et leur attachement à la cause syndicale.
A titre d’exemple, 300 syndicalistes sont tombés pour la démocratie ; 50 000 postes de travail perdus dus aux sabotages économiques.
Chers camarades,
Tout en rendant hommage aux martyrs de la communauté émigrée en France, l’UGTA ne peut manquer de faire appel au soutien de tous ses enfants, car dans cette crise aigüe que traverse le pays, le rôle et la participation de la communauté algérienne restent primordiaux. Déjà par le passé cette communauté s’est illustrée glorieusement dans la lutte pour l’indépendance.
Elle n’a reculé devant aucun sacrifice, payant un lourd tribut pour la reconquête de la souveraineté nationale, comme elle a poursuivi dans un contexte sans cesse hostile ses efforts afin de contribuer à l’édification du pays dont elle se veut un maillon indissociable.
Nous savons que cette communauté doit lutter contre l’exclusion, le racisme, la xénophobie, qu’elle est la cible privilégiée des campagnes électorales de certains partis qui tentent de lui imputer tous les maux de la société française, en particulier le chômage.
Malgré toutes ces difficultés, nous comptons sur la solidarité agissante de cette communauté pour la sauvegarde de la démocratie dans notre pays. Celle-ci l’a démontrée le 16 Novembre 1995, qu’elle en soit remerciée.
Quels qu’ils soient, les détracteurs des travailleurs et du peuple algérien à l’intérieur et à l’extérieur, ils viennent de leurs donner un cinglant démenti le 16 Novembre 1995, et il a choisi, en participant massivement à ce premier vote pluraliste, la voie de la démocratie, du progrès et du respect des libertés individuelles et collectives. L’UGTA en est fière, parce qu’elle a défendu ce choix depuis son huitième congrès.
Chers camarades,
Nous lançons un appel à tous nos amis français et à leur tête la CGT pour :
- Développer la coopération entre nos deux organisations syndicales pour contribuer à la défense de la démocratie, aux objectifs communs au monde du travail, au mouvement syndical, de liberté, de paix et de justice sociale.
- Renforcer et promouvoir les échanges entre les organisations syndicales des pays méditerranéens.
- Arriver à engager la France et la communauté européenne à développer la coopération, les échanges économiques et technologiques avec l’Algérie.
- Organiser des campagnes d’explication par la CGT pour faire un barrage de la manière la plus ferme à toutes les manœuvres et tentatives qui viseraient à la récupération et à l’exploitation de la situation actuelle en Algérie à des fins répressives contre la communauté algérienne vivant en France.
En conclusion
Nous remercions la CGT, tous les démocrates progressistes qui n’ont cessé de manifester leur solidarité pour les travailleurs et le peuple algérien.
Non à la violence, non au terrorisme !
Non aux massacres de nos hôtes étrangers !
Vive l’amitié entre l’UGTA et la CGT !
Vive la solidarité entre les salariés !
Vive la liberté et la démocratie !
Le Secrétaire Général de l’UGTA